Samizdat & Cie
Il y a parfois des choses qu’on ose. Peut-être ne devrait-on pas* ?
Il y a quelques semaines, j’ai reformulé le projet que je mène avec les étudiant⋅es de 3e année de l’école ou j’enseigne (à Pau, pour celleux qui suivent). Répondant au nom de Micromédia, il porte l’espoir d’amener les étudiant⋅es à s’impliquer dans la création d’un micro-média (eh…), entre zine et webzine, documentaire critique et empreinte sensible du réel, explorant les relations fécondes et complexes que peuvent entretenir les médias web et imprimés.
Depuis trois ans que je mène ce projet, fort peu de productions ont validé cet espoir. Quelques soient mes mots vis à vis de la légitimité de leur parole, de l’intérêt de la pratique micro-journalistique, des enjeux de l’autogestion de la publication en ligne, très peu d’entre elleux se décident à adopter une posture médiatique assumée.
Le reportage, l’interview, l’enquête ou même la collecte les enthousiasme peu. Beaucoup de projets restent très auto-centrés. Je ne leur en fait pas reproche, et j’approuve régulièrement leurs intentions en m’appuyant sur une phrase de Tom Waits (passablement apocryphe, vraisemblablement attrapée dans la merveilleuse Tom Waits Library) :
« Une bonne chanson décrit l’allée qui mène au garage, et nous conduit sur le chemin de la vie. » — Approximation passablement lyrique d’une phrase dont j’ai perdu la trace.
Mais, même conciliant, je suis têtu. J’ai donc reformulé la proposition, l’intitulant Samizdat, m’adossant à Émile Pouget comme à Jello Biafra, à Michael Rock (Fuck content) ou à Stewart Brand, convoquant Benjamin Bayart et Vincent Bolloré, et bien évidemment en me rappelant mes propres premiers pas maladroits dans le web indépendant français.
J’ai fouillé mes plus vieux marque-pages, béni archive.org, retrouvé des traces éparses et croisé trop de fantômes, constaté que quelques un⋅es (surtout quelques uns, soyons honnêtes) des acteurs de ce web indépendant traînaient toujours leurs guêtres sur le réseau. Parmi eux, Aris Papatheodorou, co-fondateur de samizdat.net, haut lieu de l’internet militant en France dans les années 90 et organisateur de la Zelig Conf, toujours hébergeur de La Horde et de quelques autres irréductibles persévérants.
Sans réfléchir davantage, je lui ai demandé s’il serait partant pour venir saluer les étudiant⋅es et leur parler de cette aventure (il s’est déjà largement exprimé à ce sujet, mais la rencontre directe, même visio-conférencée, a ses vertus). À ma grande joie, il a accepté ! (Aris est aussi graphiste, et fut directeur artistique au Monde, ce qui ne gâche rien et permet d’ouvrir la discussion).
Un grand pan d’histoire aura été parcouru lors de cette rencontre, et mes notes ne reflètent que très partiellement le parcours qu’Aris nous aura proposé.
Des premiers BBS aux proto-réseaux électroniques militants à l’échelle européenne, l’histoire de Samizdat.net dessine celle des premières utopies du web, très vite confrontées aux assauts de sa marchandisation. Des noms ont surgi – Valentin Lacambre & Laurent Chemla (évoqués via Gandi.net), Stéphane Bortzmeyer ou David Dufresne ; des outils – Spip, Pandoc, Inkscape, YunoHost ; des collectifs – Lundimatin, Abrüpt…
Le logiciel libre, GNU/Linux en tête, s’est retrouvé confronté à ses limites du point de vue de l’activité d’un graphiste. Fut notamment pointée l’absence d’alternative logicielle “réaliste” à Indesign, l’usage de Scribus pour les longs documents étant selon lui réservé aux masochistes – Aris n’a rien contre les masochistes, chacun⋅e est libre, mais n’en est décidément pas un. À mon grand bonheur, surgit à ce moment l’évocation des pratiques creusées par PrePostPrint, en tant qu’hypothèses les plus crédibles et enthousiasmantes dans ce champ.
À mon autre grande joie, il a également signalé combien, ayant longtemps et surtout été spécialisé dans le champ de l’imprimé, un des enjeux les plus complexes et passionnants de la compréhension du passage de l’imprimé au numérique est la question de la « page », ce qu’induit son indefinition et sa fluidité quand on s’adresse à l’écran et au web.
Les enjeux du libre furent rapidement rejoints par l’évocation prolongée du Fedivers. La promesse d’un réseau de réseaux décentralisé se retrouvant dans Mastodon, évidemment, mais également dans Peertube, Pixelfed, Plemora ou Misskey et l’écosystème ActivityPub.
Parmi les étudiant⋅es, bien conscient⋅es des problèmes soulevés par Instagram et consorts, certain⋅es se questionnent sur l’usage du Fedivers. Est-il possible pour elleux d’y atteindre une audience ? Aris leur propose de l’explorer, sans nécessairement couper (tous) les ponts avec les autres réseaux. [ Aussi sec ? Non, c’était peu avant, j’ai contacté Bruno pour lui proposer d’organiser une session d’auto-défense numérique chez Aquiu. Rendez-vous en février !? ]
Malgré ma réticence à solliciter du travail gratuit*, j’oserai sans doute à nouveau formuler de telles invitations, tant elles sont fécondes et riches pour les étudiant⋅es, permettant à la fois de valider, de nuancer et très largement d’augmenter mes propres propositions.
Je m’arrête ici, abrüptement, en le remerciant bien d’être venu nous rendre visite.